18h30

18h30

A 18h30, comme dans tellement d’autres familles, chez nous c’est le rush.

A 18h30, bien souvent je n’ai lavé qu’un de mes enfants sur les deux, la salle de bain ne ressemble déjà plus à grand chose, mes vêtements ont été mouillés, mon jeans me colle au genou et me donne froid, et je me dépêche. Belette se tortille pendant que je la mets en pyjama, elle hurle comme en pleine torture alors que j’essaye juste de la débarrasser d’une crotte de nez, ou bien elle est encore toute sale et vocifère dans son transat pendant que je m’occupe de son frère. A cette heure là, peu importe qu’elle soit propre ou pas, elle est fatiguée et commence à avoir faim, et surtout elle veut sa maman ! A 18h30, Poussin n’est pas fatigué. Au contraire il est en pleine forme et il le fait savoir ! Soit il sautille autour de moi pendant que je tente de maintenir sa soeur sur la table à langer, généralement en me posant mille questions ou en commentant chacun de mes gestes ; soit il gesticule sous la douche où tout met un temps fou parce qu’il s’est créé plein de rituels…

Dit comme ça c’est mignon et rigolo. Mais sur le moment, bien souvent à 18h30 je suis à bout… Je suis comme Belette, fatiguée ! Ma patience s’est effritée au cours de la journée, parfois j’ai mal à la tête, j’ai besoin de calme, j’en ai marre, j’ai envie de silence et mes nerfs sont en ébullition. Je pense à la salle de bain qu’il va falloir ranger, au repas qu’il va falloir finir de préparer (ou qu’il va falloir commencer à préparer !), aux couchers des enfants qui vont encore durer des plombes. J’anticipe également sur le linge qu’il faudra dépendre, sur la machine qu’il faudra lancer, ou sur les légumes qu’il me reste à mixer pour le lendemain. Je me dis que merde, une fois les enfants couchés je ne pourrais pas juste me poser sur le canapé et ne plus penser ! Et que si je le fais, je vais culpabiliser… A 18h30, j’attends que mon mari arrête de travailler, et je peste parce qu’il y a peu de chances pour qu’il passe la porte avant une demi-heure. Et je culpabilise (encore et toujours !) de pester, parce que ce n’est pas non plus de sa faute et qu’il ne rechignera pas à me filer un coup de main. A 18h30 donc, bien souvent je suis chiante, agacée, irritable et surtout j’en ai marre !!!

Avant, dans mon ancienne vie, celle où j’étais citadine et où je n’avais pas d’enfants, à 18h30 c’était beaucoup plus agréable. C’était l’heure où je rentrais chez moi, où je posais mes affaires et où j’étais libre jusqu’au lendemain matin. Certes il y avait aussi du linge à étendre et un repas à préparer, mais déjà la machine n’était pas truffée de petits bodies et de pantalons herbeux, et ensuite je pouvais cuisiner en écoutant la radio et sans personne à surveiller ! 18h30 c’était aussi l’heure des rendez -vous dans les bars, le moment de retrouver nos amis, de se perdre à la sortie du métro mais tant pis, dans 10 minutes on pourra boire et oublier ! 18h30 c’était une libération, le synonyme de l’apaisement, le retour à une vie de plaisirs.

Quand nous avons commencé à vouloir un enfant, et à essayer de le fabriquer, ce que j’appelle notre « ancienne vie » a basculé. Sans que je ne comprenne trop pourquoi, dès le début, j’ai eu une angoisse terrible. Celle de ne pas y arriver. Dès les premiers mois, j’ai plongé dans l’irrationnel et j’ai imaginé que ce serait difficile, que notre bébé mettrait du temps à s’installer dans mon ventre, que sur ce coup-là nous n’aurions pas de chance. De ce fait, même si au début il n’y avait rien d’alarmant, j’ai souffert chaque mois. J’étais déjà consciente que mon angoisse n’était pas fondée, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, mais je n’arrivais à la surmonter. A partir de ce moment-là, j’ai beaucoup moins aimé qu’il soit 18h30…

A 18h30, souvent je rentrais chez moi et je m’effondrais. Je m’efforçais de tenir bon toute la journée, et en rentrant je craquais. Parce qu’un cycle de plus venait de s’achever sans qu’il n’y ait de bébé, parce qu’une collègue avait annoncé sa grossesse, parce qu’un nouveau bébé était né, qu’une femme m’avait reproché de la convoquer alors qu’elle en était à son 4ème mois (et comment j’aurais pu savoir ?…), parce qu’il avait fallut écouter les progrès des bébés de la famille, des collègues, mais aussi parce que je me sentais nulle d’en vouloir à tous ces gens. C’est terrible, vraiment, ce sentiment d’être un monstre incapable de se réjouir pour les gens qu’on aime… Je me souviens de ces jours pires que les autres où je retenais mes larmes jusqu’à cette heure fatidique, où j’attendais d’ouvrir la porte pour me laisser aller, jeter mon sac par terre et me réfugier sur mon lit. Je me souviens comme parfois je n’ai même pas réussi à contenir mes larmes, et où elles ont commencé à couler dans le RER, dans la rue, dans les escaliers… A 18h30 il me restait une petite heure pour pleurer et pour me consoler, pour que mon mari ne me découvre pas dévastée en rentrant. A 18h30 parfois je commandais un mojito mais j’aurais tout donné pour n’avoir droit qu’à un perrier ou pour avoir envie de vomir. Personne ne savait, et je me détestais de devenir taciturne, aigrie et impatiente. Mes réactions étaient exagérées bien sûr ; ma souffrance a été bien faible et bien courte pendant ces 18 mois, alors que d’autres attentent des années. Ce n’est pas comparable. Il nous a suffit de quelques examens et quelques cachets pour être les plus heureux du monde, quand d’autres sont baladés de service en service. Au bout du compte, j’ai finalement résolu toutes ces angoisses et j’ai compris (un peu) pourquoi c’était allé si loin. Mais voilà, même si c’était irrationnel, j’ai eu mal et cette étape fait partie de ma vie.

Alors maintenant à 18h30, si tout me paraît compliqué et que j’ai envie de crier, je ne m’inquiète pas. Je sais que ça ne durera pas, que même si c’est difficile ça passera. Je sais que dans quelques heures je serais fatiguée mais que je n’aurais plus peur. Je ne vivrais plus dans cette incertitude que j’ai eu tant de mal à gérer, je n’aurais plus à souffrir de l’absence de ces enfants que je connaissais pas encore. A 18h30 c’est dur, mais quelques heures plus tard je peux contempler leurs visages endormis, je peux raconter comment ils m’ont émue et comme ils m’ont rendue fière, je peux me blottir dans les bras de leur père sans penser à mon ovulation et sans me forcer à ne pas y penser… Je ne sais pas de quoi demain sera fait, si tout sera aussi doux qu’aujourd’hui ou si nous aurons à affronter le pire.  Je sais seulement que j’ai une chance folle de connaître nos enfants, de les avoir portés et de les avoir mis au monde. Je sais aussi qu’être parent c’est 1000 fois plus difficile que ce que j’imaginais, mais que de les caresser, les respirer, leur parler et les aimer, c’est tellement plus magique que ce que j’espérais !!! A 18h30 je peux aussi décider que ce soir on s’en fiche, qu’on va faire un câlin avant de jouer dans le bain, qu’on va aller se promener pour profiter d’un dernier rayon de soleil, et je savoure notre bonheur.

4 Responses »

  1. lacher du lest ça fait du bien.
    Quant aux sentiments ressentis en attendant l’annonce de la grossesse … 10 ans de PMA je vois bien de quoi vous voulez parler…
    Profitez de tout, à chaque moment, ce sont les plus précieux de nos vies.

  2. 10 ans d’attente, je n’ose imaginer à quel point ça a du être difficile ! Mon expérience n’est en rien comparable, mais de traverser des moments difficiles ça fait forcément relativiser par la suite.
    Vous avez du être les plus heureux du monde, avec 2 naissances rapprochées après tant d’années de galère ! ;)

  3. Je rebondis sur le 1er commentaire : si la lessive n’est pas faite, si le linge non rangé, si les enfants sont au lit un plus tard, il faut que cela ne te mine pas autant.
    Mais pour être un minimum organisée, je sais qu’en faisant les choses méthodiquement et de manière « ritualisée », on se sent soulagé-e, une fois que tout a été accompli sinon on reste avec une surcharge sur les épaules ou la tête encombrée tant qu’il reste un petit quelque chose à faire.
    C’est un équilibre à trouver. (Mais tu le sais bien).

    Ce qui est passé n’est plus à revoir et chaque démarche est personnelle, mais lorsque vous étiez dans votre démarche, encore à Paris, je regrette de ne pas avoir insisté à te faire parler quand je te voyais commander du sans-alcool mais cycliquement. Car être soutenue et être écoutée en dehors du couple permet aussi de souffler et de pleurer et ça fait partie du processus.
    Je me permets d’en parler car l’avant dernier paragraphe souligne l’attente et les calculs dans les cycles.

    Mais on s’en fiche, le principal c’est que ça ait fonctionné et qu’à présent tout cela fasse partie du passé !

    • Tu as bien fait de ne pas insister pour me faire parler, j’aurais détesté ça ;) Ca fait énormément de bien de pouvoir se confier et de ne pas tout garder pour soit, mais il faut être prêt et à cette époque là on ne l’était pas du tout ! Bizarrement c’est quand on a commencé à évoquer nos problèmes que j’ai découvert ma grossesse ;)

      Pour l’ordre et le rangement, comme tu le sais je suis un tantinet psychorigide, mais en plus avec les enfants l’imprévu est un peu plus compliqué à gérer. On se retrouve vite avec des kg de linge sale par ex. et finalement après tu « payes » d’avoir glandé une journée… En effet c’est un équilibre à trouver ! Et puis ça ira forcément mieux quand nos poussins seront un peu plus autonomes, là avec 2 enfants en 2 ans on a un peu cherché la m**** aussi :D

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