Certaines n’avaient jamais vu la mer…

Certaines n’avaient jamais vu la mer…

Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka, c’est le roman que je viens tout juste de terminer. Et j’ai aimé !

Par habitude mais aussi par goût, je lis surtout de grands classiques, et finalement très peu de romans contemporains. C’est très sûrement un tort et je rate certainement quelques pépites, mais aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai le sentiment que je dois terminer l’ancien avant d’entamer le nouveau… J’ai pensé à m’enfermer dans une grotte avec des tonnes de livres de poche ou un Kindle plein de classiques gratuits, mais je doute en venir un bout un jour ! Alors parfois je fais des sauts de puce en littérature contemporaine et ma foi ce n’est pas désagréable. Récemment, après avoir passé un bon moment avec les Rougon-Macquart puis avec Anne Frank (en vue de notre week-end à Amsterdam, pour ceux qui suivent !) j’avais envie de changer un peu. Faute de librairie à deux pas de chez moi, je fouinais sur un site de vente en ligne, et je suis tombée sur Certaines n’avaient jamais vu la mer, estampillé rentrée littéraire 2012. Je me suis souvenu que j’en avais entendu une bonne critique (avec interview de l’auteure me semble-t-il) quelques semaines plus tôt à la radio, dans l’Humeur vagabonde (France Inter). Je cite l’émission au passage parce qu’en plus d’adorer le générique, j’aime souvent les présentations qui y sont faites et qui me donnent envie de lire le livre ou voir le film dont il est question. Si je manque de temps pour le faire, ça me donne au moins l’impression de ne pas être trop à la ramasse niveau actualité culturelle !

Bref, j’en reviens à Certaines n’avaient jamais vu la mer, dont le sujet est assez méconnu, en tout cas en France : l’immigration des Japonais aux Etats-Unis pendant la première moitié du XXème siècle. Et plus particulièrement des femmes Japonaises. Le roman commence par la traversée du Pacifique de ces toutes jeunes filles, majoritairement issues des campagnes, qui vont rejoindre en Amérique des maris choisis à distance. Les maris sont également Japonais, leur arrivée sur le sol américain est plus ancienne, et ils sont plus âgés que les jeunes épouses. Les rencontres et mariages s’étant organisés par lettres, ils ont vendu du rêve aux très jeunes filles (certaines n’ont que 14 ans), leur ventant des situations florissantes, une intégration parfaite, la promesse d’une vie idyllique, loin des champs et de la misère du Japon… En descendant des bateaux, les jeunes filles découvriront la violence de la réalité et des conditions de vie difficile. Le livre raconte, à la première personne du pluriel, la nouvelle existence de ces femmes. Leur rencontre souvent brutale avec leurs maris, leur découverte des Etats-Unis, du mépris dans le regard des Blancs…Leurs débuts comme ouvrières agricoles, comme femmes de chambre, la naissance de leurs enfants, leurs  évolutions au sein de leur communauté… Jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale ne divise le Japon et les USA et que les émigrés soient considérés comme une menace, puis installés dans des camps dont ils ne ressortiront qu’à la fin du conflit.

Le « nous », qui fait parler toutes ces femmes d’une seule voix, donne toute sa force au roman. Il mêle leurs destins, tellement proches malgré leurs différences, et renvoie bien évidemment à l’aspect collectif de leur sort. Ensemble elles ont quitté leur pays pour traverser le Pacifique, et c’est ensemble qu’elles se retrouveront internées à la fin du livre. Toutes traversent les mêmes grandes étapes de la vie, même si des détails varient. Ce que montre d’ailleurs très bien Julie Otsuka en agrémentant à chaque fois son récit de quelques exemples, sur la façon dont telle ou telle femme a vécu un évènement pourtant commun à toutes. Le « nous » donne de la force et de la puissance à l’existence de ces femmes souvent misérables, discrètes voire insignifiantes. Il nous aide également à prendre conscience de l’ampleur de cette population oubliée par l’Histoire. Le rythme ainsi créé peut être déroutant sur les premières pages, mais il devient rapidement entraînant et rend la lecture agréable. Le livre étant en plus assez court, il se lit vite et de façon très fluide.

S’il y a un détail que j’ai moins aimé, c’est l’utilisation du « nous » qui se poursuit alors que la narration change de point de vue à la fin. A partir du moment où les Japonais sont exilés et ont déserté leurs villes d’adoption, la narration passe en effet du côté américain. On suppose qu’il s’agit toujours d’un choeur de femmes, blanches et aisées cette fois, qui décrit la ville et évoque les réactions des habitants après le départ de leurs voisins nippons. Avoir ce nouveau point de vue et continuer à voir la ville sous ce nouvel aspect est vraiment intéressant  et j’aime beaucoup le principe. Sur le fond j’adhère également avec le fait de passer d’un choeur de femmes à l’autre, mais à la lecture j’ai trouvé la transition difficile. Je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais j’aurais voulu rester plus longtemps avec mes immigrées japonaises, j’ai eu l’impression que les américaines leur piquaient la parole ! Et après tout, ce changement de narration brutal reflète plutôt bien l’exil forcé qu’ont du subir les toutes jeunes filles du début, devenues des femmes au cours du roman. Au sens propre comme au figuré, on leur a donc coupé la parole !

Pour conclure, je conseille vraiment ce bouquin, qui m’a fait passer un bon moment de lecture et qui m’a renseignée sur tout un pan de l’Histoire que j’ignorais complètement. Je suis particulièrement difficile en lecture (en plus d’une trame qui me plaise, j’ai besoin de prendre du plaisir à lire, de savourer les mots, la musique des phrases…) et j’ai été agréablement surprise. J’ai un peu (beaucoup !) dévoilé le contenu du livre, mais je pense vraiment que ce n’est pas le plus important, puisque ce n’est pas du tout un livre à suspens. Sa richesse se révèle essentiellement à la lecture, dans l’énumération des détails, dans la tournures des phrases, bref je n’ai finalement rien dévoilé qui gâcherait la découverte de ce livre ;-)

Certaines n’avaient jamais vu la mer

 

5 Responses »

  1. Mais tu as raconté toute l’histoire ;-P

    Cela me fait penser à une BD que j’avais beaucoup aimé sur cette thématique : Mariée par correspondance de Kalesniko M. Si le cœur t’en dit, Juliette pourra la passer à Papa des champs. Mais c’est une Japonaise avec un Canadien.

    Me concernant, c’est l’inverse, je loupe et passer à côté de pépites en ne voulant pas lire de classiques et en lisant exclusivement des contemporains :)

  2. A nous deux on forme la lectrice idéale alors ;o)

    Why not pour la BD, merci ! A la suite de ma lecture j’ai été fouiné un peu sur le net pour me renseigner sur le sujet, et c’est vrai qu’il y a eu pas mal de Japonais immigrés au Canada.

  3. merci pr le commentaire, qui donne vraiment envie . J’aime qd les livres me font découvrir un brin d’Histoire, sans être un pensum .
    (lire des classiques avec 2 petits…une littéraire des champs, c’est ça ?? bravo ! )

  4. Ca y est, je suis démasquée ! J’ai fait des études littéraires en effet, j’en garde certains réflexes ;)
    J’aime beaucoup aussi la découverte historique de cette façon, parce qu’honnêtement, à la base jamais je n’aurais lu un essai traitant de ce sujet !

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