L’Amour et les forêts, d’Eric Reinhardt

L’Amour et les forêts, d’Eric Reinhardt

Cette année, encore dans l’enthousiasme de ma participation au jury du Livre Inter, j’ai décidé de suivre un peu la rentrée littéraire. Un peu par hasard et parce que j’avais lu un article disant que c’était un très beau roman, mon choix s’est d’abord porté sur L’Amour et les forêts d’Eric Reinhardt. Un auteur dont le nom ne m’était pas inconnu mais que je n’avais encore jamais lu. J’ai terminé ce roman il y a quelques jours, et je viens de voir qu’il était dans la première liste pour le Goncourt. C’est justement parce que je l’ai bien aimé, mais avec une certaine réserve, que j’ai décidé de vous en parler.

Eric Reinhardt - L'Amour et les forêts

Eric Reinhardt – L’Amour et les forêts

 L’Amour et les forêts débute à la première personne. Le narrateur n’est autre que l’écrivain lui-même qui nous raconte la façon dont il a fait connaissance d’une lectrice, Bénédicte Ombredanne, qui deviendra rapidement le personnage principal. Le narrateur nous raconte leurs deux rencontres dans un café, pour ensuite nous faire le long récit d’un épisode majeur de la vie de cette jeune femme mariée et mère de famille. Ce récit, il le tient de Bénédicte Ombredanne elle-même, qui s’est longuement confiée à lui. C’est là le coeur de ce livre, sur lequel je vais revenir plus tard. Revenant au moment présent (le récit évoquait un épisode vieux de quelques années), le narrateur finit par rencontrer un second personnage féminin. Celle-ci (je ne vous dis pas qui c’est, pour ceux qui voudraient lire le livre !) évoque, en devenant réellement un second narrateur, la suite de la vie de Bénédicte Ombredanne. Ca a l’air très compliqué comme ça mais dans le livre c’est beaucoup plus fluide, rassurez-vous !

Pour résumer le roman sans tout dévoiler, l’histoire de Bénédicte Ombredanne est celle d’une femme harcelée et maltraitée psychologiquement par son mari, et qui tentera de s’émanciper le temps d’une journée. Le récit de ses humiliations est poignant, et ne pourra laisser personne indifférent. Eric Reinhardt parvient à décrire avec une justesse impressionnante la façon dont le quotidien de cette femme devient peu à peu un enfer, et les étapes de cet enchaînement malsain. Il réussit également à très bien rendre compte du processus qui rendra le mari de plus en plus parano et pervers. Ce qui s’apparente réellement à une destruction mentale est décrypté avec finesse. Il n’y a pas ici de stéréotype, et la violence psychologique y est d’autant plus crédible. C’est même assez déstabilisant puisque ce roman nous permet de réaliser à quel point ce genre de drame peut passer inaperçu pour l’entourage d’un couple. De ce point de vue-là, L’Amour et les forêts est effectivement un très beau livre et le talent de son auteur mérite d’être souligné. J’ai senti un réel investissement d’Eric Reinhardt pour son sujet. J’ai beaucoup aimé sa façon d’aborder tout ce qui est d’ordre psychologique dans le roman, ainsi que tout ce qui concerne l’analyse des rapports humains. Si les personnages ont tous l’air si réels, c’est notamment parce que Reinhardt prend le temps de les doter d’un vrai caractère, d’ambiguïté, de complexité et de failles. Aucun n’est creux, et aucun ne relève du stéréotype (à par peut-être Christian, que j’ai trouvé un peu moins fouillé que les autres).

En revanche, plusieurs détails concernant la forme du roman m’ont déplu. Pour commencer, le côté « auto-fiction » m’a gênée. Ce besoin que certains auteurs ont de se mettre en scène, notamment en évoquant leur métier d’écrivain, a tendance à m’agacer ! Après avoir fini le livre (j’ai préféré attendre d’avoir fini pour ne pas être influencée dans ma lecture), j’ai écouté une interview d’Eric Reinhardt sur France Culture, où il justifiait tout cela par un souci de crédibilité… Personnellement, plus un auteur a besoin de nous donner des gages de crédibilité, plus je me méfie ! Alors oui, l’histoire de Bénédicte Ombredanne est apparemment tirée d’un fait réel entendu par l’auteur pendant un voyage en train, il n’empêche que ce n’était peut-être pas nécessaire d’en faire autant. Et encore moins d’évoquer ses anciens romans avec forces détails et analyses. Pour le coup ce n’était pas très fin mais plutôt « gros sabots »…

J’ai aussi été un peu dérangée par la façon d’écrire de Reinhardt, à certains endroits du roman. Parfois j’avais l’impression qu’il y avait des mots ou expressions en trop. Comme si l’auteur, n’ayant pas réussi à choisir entre deux ou trois jolies tournures, avait décidé de toutes les mettre en les séparant seulement par une virgule ! Ce qui donne, en plus d’une légère sensation de lourdeur, une impression de nombrilisme. Un peu comme s’il nous disait : « regardez comme j’écris bien et comme je peux être poétique » ! J’ai remarqué aussi qu’il y avait beaucoup d’adjectifs, surtout au début. Là encore j’y ai vu un besoin de vouloir tout poétiser, mais malheureusement je trouve que la poésie à outrance a tendance à alourdir… Il m’arrive à moi aussi d’hésiter parfois entre plusieurs tournures lorsque j’écris, et je sais que c’est frustrant de ne pas pouvoir tout mettre, mais c’est aussi ça l’écriture : faire des choix ! Ce défaut n’est pas présent dans tout le roman ceci dit, et il y a aussi de très beaux passages. Je suis dure mais honnête, vous en avez maintenant la preuve ;)
Je n’ai pas non plus aimé la façon dont est décrite la principale scène érotique du roman. C’est très personnel mais là encore j’ai trouvé que ça manquait un peu de finesse et que ça aurait pu être plus joliment écrit. Là clairement ça ne donne pas envie ! Eric Reinhardt emploie des mots « bruts » et décrit assez précisément ce que font les personnages, mais ses mots ne reflètent pas l’émotion et le plaisir qu’ils sont pourtant censés prendre. J’ai eu l’impression qu’il voulait tellement retranscrire la réalité de ce rapport sexuel (et montrer qu’il n’avait pas peur du sexe !) qu’il y a mis trop de détails terre à terre. Quand il écrit par exemple « la semence de C. allait fuser sur ses gencives », ou qu’il explique comment C. essuie le ventre de sa partenaire après y avoir éjaculé, je ne trouve pas ça très joli… Je suis persuadée que l’on peut écrire des scènes érotiques tout aussi évocatrices avec beaucoup plus de sensualité !
Pour finir, j’ai trouvé que souvent les changements de chapitre étaient difficiles. Nous passons d’une période de la vie de Bénédicte Ombredanne à une autre, sans transition, et c’est assez déroutant. Je suppose que ce flou est voulu, et que l’objectif est clairement de désorienter le lecteur l’espace de quelques lignes… Sauf qu’encore une fois le rendu est trop « gros » et que l’enchaînement manque de fluidité. C’est certainement une question de ressesenti personnel, et je ne doute pas que d’autres lecteurs s’en accommoderont mieux que moi !

Je m’aperçois en me relisant que je suis très exigeante sur la forme, et que j’ai la critique facile alors que je serais bien incapable d’écrire moi-même un roman… Mais je tenais à parler de L’amour et les forêts, qui demeure malgré tout un très bon livre. L’histoire est passionnante et bien menée, la psychologie des personnages y est traitée avec une justesse et une finesse impressionnantes, et je ne regrette pas du tout de l’avoir lu ! Mon objectif étant de vous livrer la totalité de mes impressions, je ne me voyais donc pas taire les quelques détails qui m’ont déplu. Je n’ai pas été subjuguée par l’écriture de Reinhardt comme j’ai pu l’être par celle d’autres auteurs, mais je lui reconnais une très grande clairvoyance et une belle analyse des rapports humains. Je vous invite donc à lire L’amour et les forêts qui est un roman de qualité, même si personnellement je ne lui donnerai pas le Goncourt ;) Ceci dit je n’ai pas lu les autres « goncourables »…

3 Responses »

  1. Merci pour votre article, qui correspond en bien des points à mon analyse. mon article sera publié le 14 /11, j’ai mis 1 lien vers le votre. Bonne journée. Claudia

  2. Ping : l’amour et les forêts | caféanim

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