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Toutes ces horreurs qu’on aimerait leur cacher…

Toutes ces horreurs qu’on aimerait leur cacher…

Parmi les raisons avancées par les personnes qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants, on retrouve parfois l’idée que le monde comporte trop d’horreurs et que l’avenir est trop incertain. C’est un choix qui se défend, même si ça n’a pas été le mien. J’ai la naïveté de croire que nos enfants sont porteurs d’espoir et que peut-être ils arriveront à faire mieux que leurs aînés, mais j’admets que c’est discutable. Bref, il n’empêche que nous sommes effectivement entourés d’horreurs… Et que notre rôle de parents est d’en protéger nos enfants. Devant les bouilles innocentes de nos petits, face à leur adorable candeur, nous aimerions les tenir éloignés à tout jamais de la souffrance, de la méchanceté, de la fureur et du danger (liste malheureusement non exhaustive…). C’est ce que nous faisons quand ils sont bébés. Ensuite, quelle que soit la façon dont ils y sont confrontés, nos enfants découvrent que tout n’est pas que douceur. Le mieux, à mon avis, c’est de les accompagner dans cette découverte de la réalité, pour qu’ils la comprennent et sachent l’affronter. En ce moment je me questionne beaucoup sur ce sujet, et je n’arrive pas toujours à avoir un avis tranché sur la façon d’accompagner mes enfants.

Au début c’était plutôt simple. Nous avons la chance de vivre dans la douceur et la sérénité. Il suffisait de ne pas mettre nos enfants en face d’images violentes, ce qui est plutôt facile lorsqu’il n’y a pas de télé à la maison ! Et même avec des écrans, ceci dit, il suffit de ne pas leur faire regarder les infos ou certaines émissions non adaptées à leur âge. Notons toutefois que là encore nous avons tous une sensibilité différente, et que ce que je vais considérer comme inadapté sera peut-être perçu comme inoffensif par quelqu’un d’autre. Et a contrario il y a certainement des gens qui penseront que nos livres jeunesse, nos discussions ou nos musiques ne sont pas du meilleur goût pour nos enfants… Question de convictions et de sensibilité je suppose ! Bref, tout ça pour dire que c’était assez simple de protéger les enfants quand ils étaient petits et qu’ils ne comprenaient pas les horreurs contenues dans le flash info entendu à la radio par exemple. Peu à peu leurs oreilles se sont affûtées et ils perçoivent maintenant pas mal de choses. Ca fait un moment que Poussin repère les gros mots que ce soit à la radio ou dans une chanson, mais aussi d’autres mots ou expressions. Belette aussi a maintenant les oreilles qui se dressent quand elle reconnaît des mots, jusqu’à en répéter certains. Ce qui n’est d’ailleurs plutôt bon signe quand il s’agit de jolies choses. Imaginez sa joie il y a quelques jours, en entendant une animatrice (Nathalie Dessay) prononcer son prénom à plusieurs reprises à l’heure du goûter ! Et oui, ma Belette partage son prénom avec un personnage d’opéra, et non (malgré nos origines espagnoles) elle ne s’appelle pas Carmen !!!

Depuis quelques temps je me demande donc si je dois, oui ou non, continuer à écouter la radio avec les enfants à proximité, à partir du moment où ils seraient susceptibles d’entendre des trucs qui pourraient les heurter. Je pense principalement aux infos et aux émissions d’actualité quand celles-ci concernent des faits violents ou flippants. Il y a quelques semaines par exemple nous étions en voiture quand le meurtre d’Hervé Gourdel a été annoncé, et bien sûr des mots terribles ont été prononcés. Sur le moment les enfants n’ont pas relevé, mais je me suis demandé quelle attitude adopter. D’une, même s’ils n’ont pas compris les termes de décapitation, terrorisme ou assassinat, ils ont forcément perçu la gravité de ce qui était annoncé. L’ambiance dans le studio, le ton des journalistes, leur trouble manifeste… tout ceci est palpable même pour des enfants. J’ai laissé la radio allumée en me demandant si ce n’était pas une bêtise. Si l’un de mes gnomes m’avaient demandé ce que signifiait le mot décapitation, répété plusieurs fois à l’antenne, j’aurais toutefois essayé de trouver les mots justes pour lui expliquer la barbarie, la bêtise et la haine, tout en essayant de ne pas l’affoler et de ne pas le terroriser. Un peu comme ce qu’on fait quand on leur explique ce qu’est la misère au détour d’une histoire où l’un des personnage est un clochard, ou quand on a du répondre aux interrogations de Poussin après le décès de notre voisine. Ce n’était vraiment pas drôle de lui confirmer  qu’on ne pourra plus jamais la voir et qu’en effet sa petite fille n’aurait plus de maman… Pas rigolo non plus quand il a demandé quel âge il aurait quand son papa et moi serons morts, et que nous avons du lui dire que nous ne savions pas, ce qui signifiait implicitement que ça pouvait être demain comme dans 50 ans… Ces questions difficiles qui concernent notre réalité proche me gênent cependant moins que celles qui concernent ce qui est extérieur. Parce qu’on ne peut pas leur cacher la mort d’un proche, ni la détresse d’un sdf croisé dans une gare, ni la violence d’un parent qui met une fessée à son enfant dans un magasin. Alors que la famine à l’autre bout du monde, le terrorisme et le massacre des baleines, je peux encore choisir de leur en parler ou de leur cacher. Alors quoi faire ? Leur expliquer au fur et à mesure ? Les tenir éloignés de tout ce qui est moche ? Pendant combien de temps ?

Je pense qu’il n’y a pas de réponse toute faite. Que la solution est à adapter selon la sensibilité des parents, celle des enfants, leur curiosité, leur âge… Et aussi qu’il y a des degrés de l’horreur, qu’il ne s’agit pas de tout déballer d’un seul coup. On peut parler de la guerre sans pour autant entrer dans le détail des morts et des tortures, ou on peut évoquer la famine sans tout de suite montrer des photos d’enfants squelettiques. Le parallèle est tout pourri, mais c’est un peu comme lorsqu’on parle de la naissance et de comment on fait les bébés, la réponse et les détails évoluent avec l’âge et la maturité des enfants. Je trouve ça trop violent de les mettre tout de suite face au pire, mais je trouve aussi que c’est lâche de les maintenir dans une bulle trop longtemps. Et que ça risquerait d’être pire après, le jour où ils découvriront tout d’un seul bloc. Autant trouver un juste milieu. Je pense aussi que c’est mon rôle de les prévenir que tout n’est pas si joli et qu’il faut savoir se méfier des méchants. Ainsi on leur explique au détour d’une douche que leur corps leur appartient et que personne n’a le droit de se montrer trop intime avec eux, ou quand une voisine leur propose de venir voir un truc chez elle on en profite pour leur rappeler qu’ils doivent toujours nous prévenir avant de suivre quelqu’un, même si c’est quelqu’un qu’ils connaissent, etc…

Concernant le sordide qu’on peut rencontrer via les médias je suis encore en plein tâtonnement. Essentiellement en ce qui concerne la radio puisque nous ne sommes pas confrontés à la télévision, et que nous évitons aussi de laisser traîner des journaux ou magazines avec des images trop « trash ». C’est l’avantage par rapport à la radio où l’on peut moins anticiper. Dernièrement dans un numéro de Causette on pouvait par exemple voir une BD de Petit Ours Brun détournée de façon gore pour illustrer le danger du dérèglement climatique, et sur un Science et Vie on pouvait voir des photos de personnalités décédées dont le meurtre n’avait pas été totalement élucidé (le genre d’images qui me perturbe déjà moi-même !).  On a fait attention de les laisser hors de portée des enfants. Il y a aussi des images qui peut-être paraissent inoffensives à nos yeux d’adultes mais qui angoisseront nos enfants, ce qui complique encore notre tâche !

Je n’attends pas de réponse sur ce qui doit être caché ou non à nos enfants, et je vais continuer à agir selon mes propres jugements, mes humeurs et mes valeurs. Mon comportement sera de toute façon différent avec mes deux enfants, qui n’auront pas forcément la même sensibilité et la même compréhension au même âge. La notion d’accompagnement est également très importante à mon sens. Quel que soit son âge et son caractère un enfant a en effet besoin de la parole de l’adulte pour décrypter et comprendre ce qui peut l’effrayer ou juste l’interpeller. Même s’il est assez grand pour comprendre un sujet grave, il ne pourra pas s’en saisir sans aide.

Pour finir, si ce long billet n’appelle pas de réponse clef en main, je suis par contre curieuse de savoir si vous vous êtes déjà posé les mêmes questions que moi, et comment vous avez géré. Vos témoignages sont vraiment les bienvenus !