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Kafka sur le rivage, d’Haruki Murakami

Kafka sur le rivage, d’Haruki Murakami

Il y a quelques années  on m’a dit beaucoup de bien de Kafka sur le rivage, mais comme je suis une tête de mule je n’ai pas voulu écouter… Le titre ne me disait rien, j’étais complètement hermétique à la littérature japonaise* (et à la culture japonais en général), la couverture avec le chat et les poissons me confortait dans mes a priori, et les 638 pages du bouquin me rebutaient ! Je ne suis absolument par contre les romans un peu longs, au contraire, mais j’avoue que lorsqu’il s’agit d’un livre qui ne m’attire pas ça me refroidit encore plus. En fait, j’imaginais un livre chiant plein de philosophie chiante…

Et puis dernièrement j’ai eu l’occasion de lire quelques-unes des lettres de mes amis jurés du Livre Inter, et de parler littérature avec eux. Je me suis aperçu que Murakami et son Kafka sur le rivage étaient cités plusieurs fois, et ça a fait tilt. J’ai  réalisé que des lecteurs qui avaient par ailleurs des goûts très proches des miens avaient adoré ce roman, et qu’ils en avait été profondément marqués. Ma libraire aussi m’en a dit du bien quand je l’achetais, et comme généralement je suis plutôt d’accord avec ses coups de coeur…

Ma Belette a tellement aimé cette couverture qu'elle a tripoté mon livre je ne sais combien de fois, et tant pis si elle faisait tomber le marque-pages...

Ma Belette a tellement aimé cette couverture qu’elle a tripoté mon livre je ne sais combien de fois, et tant pis si elle faisait tomber le marque-pages…

Dès les premières pages j’ai adoré ! J’ai aimé le style (même si forcément c’est une traduction), la façon dont l’histoire est menée, les personnages… J’ai aussi beaucoup aimé tout ce que Murakami a mis dans son roman et qui est plus ou moins implicite : ses réflexions sur la mémoire, sur la construction d’un individu, sur le passé, le présent, le rêve, notre rapport aux autres, les livres et l’imaginaire. J’ai trouvé un livre qui parle de tout sans jamais tomber dans la niaiserie et les bons sentiments. Deux trucs que je déteste ! J’ai l’impression que Murakami les déteste lui aussi, parce que dès qu’il les effleure il change vite de cap et nous surprend en balayant toutes nos certitudes. Kafka sur le rivage est également gorgé de fantastique, et c’est aussi ce qui le rend si spécial. Je lis très peu de fantastique parce que je suis vite saoulée quand c’est mal fichu. Mon côté terre à terre prend alors le dessus et je n’adhère pas, je me moque et je passe à autre chose. En fait, ce qui me plaît, c’est le fantastique qui est tellement bien amené qu’on n’a pas besoin de se poser la question d’y croire ou pas. Celui qu’on retrouve chez Borges, chez Poe ou même chez Maupassant. Et bien sûr chez Kafka. Le vrai, celui de la Métamorphose et du Procès ! Mon fantastique c’est aussi le souvenir d’avoir suivi des cours sur Todorov et d’avoir adoré. J’avais presque oublié comme c’était chouette, et je ne regrette vraiment pas de m’y être de nouveau plongée.

Et sinon, Kafka sur le rivage, ça parle de quoi ? D’un côté il y a un vieillard attendrissant, devenu un peu simplet dans son enfance, suite à un étrange incident que personne ne parviendra à élucider; et de l’autre un jeune adolescent de 15 ans qui fuit Tokyo, tente d’échapper à l’emprise d’un père toxique, et surtout part en quête de lui-même et de sa propre histoire. On s’apercevra que s’ils n’ont pas l’air d’avoir grand chose en commun il partagent en réalité beaucoup. Leurs destins vont se croiser, se télescoper parfois, de préférence en surprenant le lecteur et en le déroutant. J’ai d’ailleurs bien envie de vous dire que ce roman ne se résume pas, et que tout ce que je pourrais en dire ne vous servira à rien pour comprendre l’intrigue. Une intrigue à la fois capitale et tellement secondaire, qui est indispensable au roman mais qui en même n’est rien à côté du reste !

Ce qui compte vraiment ce sont les réflexions des personnages sur le devenir, sur leur passé, leurs rêves et leur cheminement. Murakami nous offre un magnifique roman initiatique et une étonnante expérience littéraire. Pourtant son texte est d’une incroyable fluidité. On entre très vite dans son univers, et on s’y sent merveilleusement bien. Je n’arrive par à savoir s’il faut avoir une certaine aptitude à se laisser happer par l’imaginaire pour y pénétrer complètement, ou si l’auteur parviendra quand même à emmener avec lui même les plus réfractaires. Dans tous les cas je ne peux que vous conseiller d’essayer, quel que soit vos goûts habituels : il y a de grandes chances pour que le charme opère !

Très honnêtement, je l’avoue, j’ai eu l’impression d’être déçue en arrivant la la fin. J’imaginais certainement autre chose (d’ailleurs Murakami est très doué pour mettre le lecteur sur une piste et finalement prendre une autre voie) et j’ai pu être déroutée. Finalement je crois que toute la magie de Kafka sur le rivage réside aussi dans sa fin inattendue, à la fois si simple et si déroutante. Comme pendant toute la durée du roman, certains chemins défrichés par Murakami sont en définitive délaissés, et ce n’est pas très grave. Cette accumulation de situations ouvre toujours une réflexion nouvelle et amène le lecteur à s’interroger lui aussi, à la fois en immersion et en lisière du texte.

*Pour la petite histoire, c’est la littérature de jeunesse japonaise (dont les enfants et moi sommes friands) qui m’a certainement rendue plus curieuse pour la littérature japonaise à destination des adultes. Sans vouloir généraliser, on y retrouve effectivement une part importante de tendresse et de réalisme poétique que j’aime tellement dans les albums de Komako Sakaï ou de Kazuo Iwamura par exemple.