Archives du mot-clef littérature

Une femme à Berlin

Une femme à Berlin

C’est une chronique entendue à la radio il y a quelques mois (le podcast est ici), qui m’a donné envie de découvrir ce texte. Je ne sais pas si je dois l’appeler récit ou journal. Tout ce que je sais, c’est qu’Une Femme à Berlin est un livre que je suis heureuse d’avoir lu.

Une-femme-a-Berlin-journal-20-avril-22-juin-1945

Il est de ces récits qui ont un intérêt à la fois historique, collectif et personnel.
Ce bouquin, c’est tout simplement le journal intime tenu par une jeune femme, à Berlin, à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre le 20 avril et le 22 juin, pour être exacte. Pas besoin d’être très calé.e en histoire pour imaginer qu’à ce moment-là, l’ambiance y était plutôt sombre ! Une ville agonisant sous les bombes, les incendies, le manque de nourriture, la promiscuité, et l’armée russe qui prend possession des lieux. Des habitants usés par la guerre, l’incertitude, la peur…

Plus qu’un témoignage individuel, ce texte permet de mettre en lumière la toute fin de Berlin et les prémices de sa lente reconstruction. Le passage entre deux moments historiques, entre deux mondes.
L’image qui me vient à l’esprit lorsqu’on évoque ce moment, c’est la célèbre photo d’un soldat russe hissant le drapeau soviétique sur le toit du Reichstag de Berlin.

berlin-armée-rouge-reichstag

C’est un moment sur lequel on ne s’attarde pas trop dans les manuels d’histoire, la chute de Berlin au printemps 1945. On a tendance à passer très très vite sur le sort des vaincus, voire à trouver ça normal qu’ils s’en prennent plein la tronche. C’est comme ça, l’humain aime ce qui est manichéen, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Et un soupçon de vengeance au milieu. Tant pis pour la nuance et l’éveil de l’esprit critique…
À mon sens, c’est au contraire en présentant l’Histoire de façon plus nuancée qu’on élèverait un peu l’esprit de nos enfants, mais c’est un autre sujet !

Bref, lire Une Femme à Berlin permetentre autres, d’apprendre pas mal de choses sur cette période très particulière et de combler quelques lacunes historiques. Cela permet aussi de constater que tous les Berlinois n’étaient pas d’affreux nazis à éradiquer (évidemment il y en a eu, et beaucoup trop, mais il serait faux de penser que toute la population était complice), et que les années de guerre n’ont pas franchement été une partie de plaisir pour eux non plus. Paradoxalement, au-delà de ce moment précis de l’Histoire, les questions soulevées par ce bouquin sont de l’ordre de l’universel. Comment le drame collectif s’inscrit dans l’individuel, comment être soi quand tous les repères ont disparu, comment survivre au chaos ?

Le récit est anonyme, mais il a été authentifié. La jeune femme narratrice a préféré taire son identité, et en la lisant on ne peut que la comprendre. Elle avait une petite trentaine d’années à cette époque et sa vie professionnelle tournait  apparemment autour du journalisme et de l’édition. Il y a fort à supposer qu’elle est restée dans cet univers après la guerre. On imagine aisément qu’associer son nom à un récit à ce point personnel et détaillé aurait pu lui porter préjudice pour la suite de sa carrière, et peut-être même de sa vie privée tout court. Même sans avoir eu d’activités répréhensibles, l’anonymat permet certainement de dépasser sa pudeur et d’aller plus loin dans la franchise.
Après vérification (mais j’ai un peu la flemme de tout réécrire !) l’identité de l’auteure a été révélée il y a quelques années. Wikipédia explique tout ça mieux que moi.

Le récit s’ouvre donc au moment où l’Armée russe prend la ville et met en place une occupation particulièrement dure. Berlin est littéralement pilonnée pendant les premières pages. Les civils s’abritent tant bien que mal dans ce qu’il reste des immeubles, et s’entassent dans les caves pendant des heures pendant les alertes. Avec tout ce que la promiscuité et le huis clos ont de plus sympathique…
Vient ensuite le moment de la capitulation, qui marque certes la fin des bombes, mais ne signifie pas pour autant le retour au calme. C’est même là que le récit est le plus dur.

Certaines pages sont difficiles, vraiment. Violence, mort, viols, humiliations… tout ce que l’on peut imaginer de pire est là ! Les femmes ont particulièrement morflé. Selon le vécu de chacun, la sensibilité et l’état d’esprit au moment de la lecture, cela peut être compliqué. Vaut mieux être prévenu.e avant et savoir à quoi s’attendre. C’est d’autant plus difficile que l’écriture de l’auteure est d’une justesse étonnante, parfois déroutante. Son témoignage est direct, cru, brutal et pourtant il est déjà emprunt de recul. C’est là toute la force de ce bouquin. La narratrice est impressionnante par sa lucidité, sa résilience et sa capacité d’analyse. Jamais elle ne tombe dans la haine ou les raccourcis simplistes. Il n’est jamais question de désigner des gentils et des méchants, de verser dans la vengeance ou la haine. Au contraire, derrière la simplicité de son écriture et l’honnêteté de son témoignage, se révèle toute la complexité des hommes et de l’Histoire.

C’est assez déroutant, notamment parce qu’en se sentant proche de cette femme, on ne peut s’empêcher de penser que ces années de guerre ne sont pas si lointaines, que les humains ne sont pas moins vils qu’à cette époque (clairement, la connerie n’a pas régressé !) et que finalement le confort et la paix semblent bien fragiles. Oui, c’est un brin pessimiste… mais si cela peut nous inciter à rester vigilants, alors tant mieux.

Les Souvenirs, de David Foenkinos

Les Souvenirs, de David Foenkinos

LesSouvenirs_Gallimard

 

 

Depuis la parution de Charlotte et toutes les merveilleuses critiques qui ont suivi, j’ai envie de découvrir David Foenkinos. Pourtant, les mois passent et je ne me suis toujours pas procuré ce livre, parce que j’ai peur qu’il soit trop triste… C’est un peu idiot, mais la perspective de lire l’histoire de cette jeune artiste à la fin si tragique m’angoisse profondément. Je lis pourtant des tas d’autres livres loin d’être drôles, mais là je bloque. J’ai donc décidé de faire connaissance avec Foenkinos en commençant par ses autres romans. L’amie chez qui j’étais la semaine dernière m’en a même prêté un (mais je ne sais plus lequel…oups) en me disant que c’était le mieux pour commencer, mais évidemment j’ai oublié de le prendre en partant ! Alors, un peu au hasard, j’ai acheté Les Souvenirs lors de mon passage à la librairie cette semaine.

 

Le narrateur, à la première personne, y évoque la fin de vie des ses grands-parents, le début de retraite et les névroses de ses parents, ses errances émotionnelles, ou encore l’aube de sa vie d’adulte. Et des dizaines de souvenirs, de personnages fictifs ou réels. Dit comme ça, j’en suis bien consciente, ça sent le roman de pré-trentenaire, la mièvrerie et les gros clichés. Mais en fait pas du tout !

Très vite, la douceur du texte m’a touchée. Je l’ai trouvé sincère, et en cela terriblement émouvant. Le narrateur a tout d’un stéréotype agaçant (il est jeune, il veut devenir écrivain, il cherche l’amour, il est gentil…) mais on s’aperçoit vite qu’il est aussi bien plus que ça. Il dépasse le stéréotype pour s’incarner véritablement, ce qui est assez rare pour être souligné. L’écriture de Foenkinos est agréable et j’aime beaucoup son style, tout en finesse lui aussi. C’est assez difficile à décrire, mais j’ai vraiment eu un sentiment de douceur en lisant Les Souvenirs. Une sensation de flottement, de coton et de légèreté.

A travers l’histoire de ce jeune-homme bouleversé par la fin de vie de ses grands-parents, c’est toute une réflexion sur la vieillesse qui s’offre au lecteur. Encore une fois il ne s’agit pas de se calquer sur des clichés, mais bien de poser un regard lucide et empathique sur une génération qui s’efface. L’évocation de ses parents, entre deux âges, renvoie elle aussi à une réalité parfois compliquée. Entre émotion, tendresse et humour, ce roman est celui du glissement des générations, du temps qui passe et des liens familiaux. Malgré ces thématiques difficiles, je n’ai jamais ressenti de lourdeur ou d’angoisse pendant ma lecture. Certes, je n’ai pas de problématiques similaires dans ma famille en ce moment, mais je me demande si dans de telles situations Les Souvenirs ne seraient justement pas un moyen d’adoucir un poids. Bien sûr pendant ma lecture j’ai ressenti un peu de nostalgie, et j’aurais pu être bien plus ébranlée si mon histoire avait eu des points communs avec celle du narrateur, mais je trouve ce roman tellement juste qu’il n’apporte aucune angoisse. Je pense qu’on peut au contraire y trouver de l’apaisement, une sorte d’acceptation du temps qui passe et d’une époque qui bascule dans le passé. Et puis vraiment, Foenkinos maîtrise si bien l’art de l’humour subtil qu’il parvient à désamorcer le tragique en lui insufflant ce qu’il faut de légèreté !

Ma seule déception, parce que même sous le charme mon esprit critique reste aux aguets, concerne la fin du roman. Sans trop dévoiler l’intrigue, cela correspond au moment où le narrateur se met en couple. Je pense que l’histoire aurait pu s’arrêter là, et s’éviter ainsi de flirter avec les clichés. C’est à mes yeux un paradoxe énorme, mais si la littérature raffole des histoires de couple, c’est ce que les écrivains ont le plus de mal à traiter ! La fin du livre n’est pas non plus atroce, n’exagérons rien, mais je n’ai pas été totalement convaincue par les derniers rebondissements. D’ailleurs, la temporalité du récit s’accélère à ce moment-là, et les multiples ellipses (de plusieurs années) participent à ce sentiment de déception. A mon avis, un roman qui évolue à un rythme plutôt régulier n’a rien à gagner en osant une accélération finale. On pense forcément à une fin bâclée et à une nécessité de vouloir en caser le plus possible, et c’est dommage !

Je ne le savais pas au moment de commencer ma lecture, mais il s’avère qu’une adaptation de ce livre est sortie au cinéma il y a quelques semaines ! N’ayant pas de ciné à proximité immédiate de ma maison, et ayant 2 enfants, je ne suis plus très sensible aux sorties ciné… depuis environ…euh…5 ans ! Bref, je suis bien souvent déçue par les adaptations des romans que j’ai aimés, mais je viens de visionner la bande annonce du film de J-P Rouve, et je me dis qu’à l’occasion j’aimerais bien le voir. Je suis quand même contente d’avoir vu la bande annonce seulement après avoir terminé le bouquin, sans quoi j’aurais calqué le visage des acteurs sur les personnages, alors que de moi-même je les ai imaginés vraiment différemment. Pour l’anecdote, j’ai toujours regretté d’avoir le visage de Depardieu comme seule référence en lisant Germinal…

Compagnons de route

Compagnons de route

Ils m’accompagnent depuis toujours ou presque. J’aime le bruit de leurs pages qui se tournent, leurs odeurs qui ne sont jamais les mêmes, et j’aime par-dessus tout les histoires qu’ils racontent. Certains livres m’ont ouvert l’esprit, d’autres m’ont ennuyée, beaucoup m’ont émue, quelques-uns m’ont changée. Si tous ne m’ont pas laissé de souvenir précis, il y en a certains qui m’évoquent des moments particuliers. Ils ont jalonné ma route et se rapportent à mon histoire. Ils font littéralement partie de moi.

biblio

 

Je devais avoir 8 ou 9 ans, nous étions en vacances d’été et j’ai découvert la Comtesse de Ségur avec Les Malheurs de Sophie. Je me souviens qu’ensuite j’ai avalé un de ses livres par jour pour vite connaître la suite des histoires de Sophie, Camille, Madeleine, Paul et les autres…

Plus tard, j’ai fait la connaissance d‘Emma Bovary au fond de mon lit, incapable de me lever avant d’avoir fini, tellement j’étais captivée. Alors que c’est assise, dans le grand fauteuil marron près du radiateur du salon, que j’ai rencontré Victor Hugo avec Quatre-vingt treize. Un roman qui m’a bouleversée alors qu’au début j’avais sauté quelques pages pour aller plus vite et finir au plus tôt ma fiche de lecture… J’ai regretté ! La même émotion m’a submergée quand je lisais L’homme qui rit, pendant nos vacances à l’Ile de Ré entre deux balades à vélo. En fait je crois bien que tous ses textes m’ont touchée, chacun à leur façon. Pas possible non plus d’oublier que c’est encore avec Hugo que j’étais, dans les couloirs de la clinique, à  l’aube (à l’heure où blanchit la campagne, si si !!) , attendant de vérifier si mon traitement pour l’ovulation faisait effet… Je n’avais pas encore terminé Les Travailleurs de la mer lorsque j’ai appris qu’un mini poussin grandissait dans mon ventre !

Peu après j’ai adoré Belle du Seigneur, une main sur le ventre, me disant que Solal ferait un bien joli prénom pour un futur petit garçon, que j’imaginais forcément brun aux yeux noirs. Celui qui joue en face de moi à l’heure où j’écris a certes les yeux les plus foncés que je connaisse, mais ses cheveux sont châtains. Et son prénom est celui d’un autre personnage de la littérature. Mais pour celui-là, je connaissais le prénom et je l’aimais déjà avant de lire le livre !

Quelques années avant, à Paris, j’avais passé quelques délicieuses semaines avec Thomas Mann et sa Montagne magique. Une ascension difficile, mais tellement belle ! Le livre de poche, usé à force d’être trimbalé dans mon sac, m’avait même accompagnée à Vienne, où je me souviens l’avoir lu allongée dans un parc à l’ombre de vieux arbres. De fait, j’associe toujours les livres à l’endroit où je les ais lus. Même si ça n’a rien à voir. Comme lorsque j’ai lu Elles n’avaient jamais vu la mer dans le Thalys qui nous menait à Amsterdam, ou l’Alchimiste dans l’avion pour aller en Corse (j’étais jeune et en le refermant je me suis quand même demandé si c’était pas un peu niais). Les Fourmis de Werber m’évoquent nos premières vacances en couple et la terrasse ensoleillée de la piscine du camping. Juste après j’avais lu Les Nuits fauves, pour un changement d’ambiance radical ! Je me souviens aussi avoir lu La Métamorphose de Kafka en attendant le bus pour mon tout premier boulot, une mission d’interim au fin fond d’une zone industrielle. Et puis Rabelais, de Gargantua au Cinquième livre, dans le RER D qui séparait ma banlieue de Paris. Comme quasiment tous les livres lus pendant ma fac de lettres, de Marguerite de Navarre en passant par Gide et Isaac Bashevis Singer.

Je me souviens aussi de l’Assommoir et de Germinal, lus bien tardivement. Le premier en Auvergne ,lors de nos premières vacances en famille, pendant les siestes étonnamment longues d’un poussin de 5 mois, alors qu’à la maison je m’arrachais les cheveux… Le second m’a accompagnée pendant ma dernière soirée nantaise, en mode maman solo sans internet, sans télé et sans radio. Je l’ai terminé quelques jours plus tard en Bourgogne, une main posée sur ma Belette, qui ne trouvait le sommeil que comme ça !

Belette qui, elle, a été fabriquée au moment où je lisais Le Choeur des femmes de Martin Winckler (enfin pas pile poil pendant ma lecture hein, n’exagérons rien !!!). Je le sais parce que c’est le livre que le lisais dans la salle d’attente le jour où j’ai fait retirer mon DIU, date retenue comme étant celle de la conception d’après les échographies. Sur le coup j’avais trouvé ça vraiment marrant, de lire une histoire de gyneco justement dans la salle d’attente du mien, un type aussi chouette que le personnage de Winckler !

Il y en a eu plein d’autres mais je n’ai pas assez de place pour tous les citer. Sombre dimanche, prix Inter 2013, lu dans le train qui m’emmenait vers les délibération du prix 2014 ; puis à mon retour Mabanckou lu dans une chaise longue au milieu du jardin. La Douleur de Marguerite Duras dans l’avion en quittant Budapest, Bonjour tristesse de Sagan en mode sardine dans le RER A… Il y a eu aussi La Terre, Zola toujours, commencé en version papier et terminé sur la liseuse que je venais de recevoir à Noël.

Mille autres ont compté, dévorés sur le canapé, dans mon lit, dans le métro, au soleil ou près du feu. Les suivants m’attendent…

La Vie de Marianne, de Marivaux

La Vie de Marianne, de Marivaux

 La Vie de Marianne comptait jusqu’ici dans la liste des classiques que je n’avais pas encore lus. C’était un peu LE bouquin que je devais lire depuis presque 10 ans et qui était toujours remis à plus tard, sans autre raison que mon étourderie. J’étais pourtant certaine que je l’aimerais, puisqu’il plaisait à ma meilleure amie qui en fit son sujet de maîtrise lorsque nous étions étudiantes en lettres modernes.

La Vie de Marianne est donc une oeuvre de Marivaux, essentiellement reconnu pour ses pièces de théâtre, mais qui a également écrit deux romans dont Marianne.

La VieDeMarianne

C’est toujours assez difficile de parler d’un livre sans savoir si mes lecteurs l’ont lu, et donc en faisant attention de ne rien dévoiler du dénouement de l’intrigue, pour le cas où certains auraient envie de le lire. Même si dans le cas présent il ne s’agit pas d’un polar avec un suspens insoutenable, et que nous connaissons parfois la fin d’un grand classique sans l’avoir jamais lu, personnellement je n’aime pas tout connaître d’avance. Ici, le sujet est assez simple pour vous présenter très brièvement le roman dans ses grandes lignes sans dévoiler ses multiples rebondissements. Dès les premières pages, on nous présente le récit qui va suivre comme un manuscrit trouvé dans une maison qui a changé plusieurs fois de propriétaires. Marianne y écrit à la première personne et , en s’adressant à l’une de ses amies, retrace son histoire depuis l’enfance. Je passe rapidement sur l’intérêt d’un récit soit-disant véridique et du procédé qui consiste à faire adhérer le lecteur, sur les éléments d’authenticité mis en place par l’auteur, et sur l’excuse toute trouvée du « si c’est mal écrit j’y peux rien c’est parce que c’est Marianne et qu’elle n’est pas écrivant ».

Marianne nous raconte donc son histoire depuis sa plus tendre enfance, où elle se retrouve orpheline de père et de mère, seule survivante d’une attaque de fiacre dont les occupants n’ont pas été identifiés. La petite fille est apparemment l’enfant de gens de condition, mais rien ne le prouve de manière formelle, et de toute façon elle se retrouve complètement seule. Elle a 2 ou 3 ans, elle est recueillie par un curé de campagne et par sa soeur. Ces gens simples et plein de bonté l’élèvent dans la vertu, le respect et l’amour. Malheureusement, lors d’un voyage à Paris où Marianne accompagne la soeur du curé, cette dernière meurt, suivie de près par son frère resté en province. La jeune Marianne, âgée de 15 ou 16 ans, se retrouve ainsi seule à Paris; qui plus est dans le plus grand dénuement puisque ses logeurs la dépouillent de pas mal de choses appartenant à son amie décédée. Abandonnée de tous, elle ne peut  compter que sur le secours d’un prêtre, qui la présentera à un dévot de sa connaissance. Pour la seconde fois de son existence Marianne est donc soumise à la charité. De nombreuses péripéties vont rapidement venir ajouter leurs lots de malheurs à cette situation de départ déjà difficile. L’histoire d’amour entre Marianne et Valville, jeune homme de haute condition, est en quelque sorte le moteur de l’intrigue. La jeune fille vertueuse et intelligente traversera une alternance d’épisodes tantôt désespérants, tantôt miraculeux. Le roman étant inachevé il nous manque la suite de sa vie, mais il n’empêche que finalement elle a du s’en sortir, puisque lorsqu’elle écrit ses mémoires elle se présente comme Madame la Comtesse.

Ce qui fait tout l’intérêt de ce livre, ce n’est pas tant l’intrigue que le caractère de Marianne. Personnellement, je vous avoue que pendant le premier tiers de ses aventures elle m’a passablement agacée ! Alors bien sûr la distance historique biaise forcément notre jugement, mais n’empêche que je la trouvais pimbêche et prétentieuse. Et puis au fil de son histoire, sa finesse d’esprit m’a touchée. Ce qui est déroutant avec Marianne, c’est que ce côté agaçant, sa retenue, et sa vertu la sauvent. On ne sait jamais vraiment si son innocence est feinte, et c’est précisément un atout pour le livre. Elle incarne, à sa façon, la possibilité pour une femme de prendre en main son destin. Avec les moyens de son époque, certes, mais quand même. Le roman est d’ailleurs tout entier tourné vers les femmes, qui semblent être les véritables preneuses de décisions, alors que les hommes y sont le plus souvent prisonniers de leurs pulsions. En parallèle, Marivaux (comme souvent dans ses pièces de théâtre) met en lumière le déterminisme social et invite à s’interroger sur sa portée. La satire du discours religieux est une fois encore bien présente chez cet auteur et le replace dans le contexte de son époque (18ème siècles, les Lumières, tout ça tout ça !). Bon, l’idée n’est pas de faire ici une analyse littéraire, mais surtout d’évoquer tous les aspects qui m’ont intéressée dans ce roman.

Enfin, ce que j’ai adoré avec La Vie de Marianne, c’est de me replonger dans la langue du 18ème siècle ! D’une part parce que Marivaux écrit magnifiquement et que malgré les siècles son écriture demeure belle, forte et envoûtante. D’autre part parce que j’aime toute cette ambiance de l’époque, les relations très codifiées entre les personnages, leurs moeurs, et qu’on retrouve tout ceci dans le texte. J’aime ce vocabulaire où les femmes se doivent d’avoir de la vertu et des grâces, où l’on est contristé, en pleine affliction, où les femmes s’évanouissent pour un rien et où les personnages peuvent mourir en 3 jours alors que la semaine d’avant tout allait bien. Ca me fait rire tout autant que ça me fascine. C’est ce qui m’a fait choisir la voix de la littérature, et ce qui m’a de fait menée vers l’écriture.

Je sais bien que ce roman n’est pas forcément très accessible aux gens qui lisent peu ou qui ne sont pas du tout familiers de ce type de textes, mais à tout ceux qui en sont curieux je leur conseille de foncer !