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Au village

Au village

Lors d’un précédent billet, j’évoquais l’accueil chaleureux que nous ont réservé nos voisins, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de parler de celui des habitants du village, situé en contre-bas. Dans l’absolu vous me direz qu’à quelques kilomètres près, les mentalités ne doivent pas changer des masses. Certes. Sauf que démographiquement, les gens de notre hameau et ceux du village n’ont pas les mêmes caractéristiques. Pour faire simple, dans notre petit hameau il y a essentiellement des résidences secondaires ou des retraités dont l’installation est récente. Pas des gens du cru, donc. Parmi les quelques actifs c’est pareil, rares sont ceux qui sont originaires du coin (2 ou 3 maisons à peine). Au contraire, les habitants du village sont souvent originaires de la région. Souvent issus de familles d’agriculteurs, leur ancrage dans le territoire a donc de profondes racines. Pas étonnant donc que la vision des « nouveaux » diffère selon que l’on vive ici depuis toujours ou que l’on appartienne soi-même à la catégorie des néo-ruraux.

Je rassure tout le monde, personne ne nous a jeté de pierres en nous disant de rentrer chez nous, nous n’avons pas été accusés de piquer le travail des bons bourguignons de souche, et personne n’a vu en nous des parigots échoués (la ruse était de faire une halte entre Paris et la Bourgogne, comme ça nous sommes juste des Nantais en migration !). Notre arrivée ici a été très bien perçue, notamment parce qu’une famille de 4 qui s’installe, ça fait fonctionner l’école et les commerces mais aussi parce que ça apporte de la vie, tout simplement ! Cet accueil nous a fait du bien et nous a encouragés à participer à la vie locale. Nous n’avons donc jamais senti de réticence à notre venue, ni d’antipathie. Quelques réactions de surprise, du style Mais pourquoi venir dans ce trou ??? mais rien de plus.

Petite parenthèse : ça me fait toujours rire de voir les gens s’étonner de notre choix alors qu’ils font exactement le même… Parce que oui ils sont nés ici, mais personne ne les a forcés à rester ! Certes ils ont des attaches ici, et ça peut être difficile de s’en défaire, mais n’empêche que leur vie ici résulte d’un choix. Celui de la campagne plutôt que la ville, celui de rester plutôt que de partir. C’est très sartrien, mais c’est ainsi (Sartre,dans  L’Existentialisme est un humanisme, développe le fait que nos actions résultent toujours d’un choix, qu’il soit conscient ou non.)

Le seul moment où nous avons ressenti une petite méfiance, c’est de la part de certains parents de l’école. Pas tous, parce que dès le départ il y a eu des échanges sympas, des sourires et quelques paroles accueillantes. Cependant, Papa-des-Champs, qui est le principal préposé aux allers-retours à l’école, me disait régulièrement que tous les parents n’étaient pas franchement souriants avec lui et qu’il sentait bien une petite distance. Bon alors clairement, je pense qu’en dépit de son statut de nouveau, il a certainement créé la surprise. D’abord, s’il n’est pas le seul papa à accompagner ou venir chercher son fils à l’école, il n’a pas tout à fait le même look que les autres. Les cheveux longs et le manteau de ville, c’est pas forcément très courant par chez nous… Tout simplement parce que les papas dispo le midi sont ceux qui travaillent aux abords du village, donc essentiellement comme agriculteurs ou dans le bâtiment. Et forcément, pendant leur pause déjeuner ils ne s’amusent pas à chausser leurs souliers cirés ni leur manteau 3/4 ! La seconde explication, c’est que Papa-des-Champs est le seul papa à participer aux réunions de l’association des parents d’élèves. En fait pour la première on voulait y aller tous les deux, mais il en fallait bien un pour garder les enfants.., c’est ainsi qu’ au bout d’une lutte acharnée il a gagné ! Une fois qu’il s’y était fait des copines et qu’il avait eu un rôle à jouer dans l’organisation du loto de l’école (mouhahaha !!!) c’était logique qu’il continue. Il a donc surpris le petit groupe de mamans de l’assoc’, qui ne s’attendaient pas à accueillir un nouveau membre, et encore moins masculin ! La bonne nouvelle c’est que le directeur de l’école se sent maintenant un peu moins seul au milieu de toutes ces femmes. D’autant que sa capillarité est assez proche de celle de Papa-des-Champs, tout de suite ça aide à créer des liens :-D

Pour l’anecdote, depuis que Poussin est à l’école, nous avons déjà reçu plusieurs mots invitant les « mamans » à faire des gâteaux pour les diverses fêtes et occasions jalonnant la vie scolaire (et il y en a beaucoup, à croire qu’ici chaque occasion est bonne pour manger ! et boire aussi, mais pas tellement à l’école…). Cette sollicitation uniquement adressée aux femmes nous faisait sourire, en même temps qu’elle nous navrait un peu. Parce que certes dans les faits ce sont surtout les femmes qui font la cuisine à la maison, d’autant qu’ici elles sont beaucoup à ne pas travailler, mais sur le principe on trouve dommage de ne s’adresser qu’aux mamans quand il s’agit de cuisine. C’est le genre de détails qui permettent aux clichés de subsister et qui maintient les mentalités dans leur carcan au lieu de les faire évoluer. Bref, première réunion, vient le moment où la question des gâteaux et des mamans est abordée. Papa-des-Champs demande en plaisantant si les papas ont quand même le droit de faire des gâteaux. Ahahahn, tout le monde rigole, les participantes expliquent que ici c’est surtout les mamans qui font les gâteaux, et le sujet est clôt. Hasard ou pas, une dizaine de jours plus tard, un mot dans le cahier de Poussin appelait « les parents » à  préparer des gâteaux ! Gniark !!!

Au fil des semaines, Papa-des-Champs me dit qu’il sent du changement dans le regard des gens. Certaines mamans qui paraissaient antipathiques au début se dérident et lui rendent son bonjour avec un sourire, les gens discutent un peu plus, et c’est forcément plus agréable. J’imagine également que le fait de s’impliquer dans la vie de l’école le rend plus sympathique, et que ça contribue forcément à gommer les a priori et autres jugements hâtifs. De notre côté, nous sommes ravis de cette intégration qui commence à prendre forme. De semaine en semaine nos relations  avec les autres évoluent et s’étoffent, que ce soit avec les parents d’élèves, avec nos voisins ou avec les personnalités locales. J’aurais encore des choses à raconter sur ce nouveau réseau qui se tisse, sur le tissu rural si particulier engendré par le faible taux de population, et sur notre façon de vivre toutes ces nouvelles expériences. Je m’arrête là pour aujourd’hui, et j’évoquerai ce sujet qui me passionne à l’occasion de futurs billets ;-)